Bologne et Ozzano, mercredi 8 octobre

Le lendemain au réveil, survînt une idée splendide et tout à fait singulière, car elle ne nous avait jamais traversé l’esprit, ni à mon ami, ni à moi. Cette idée ne peut se vanter d’être hors du commun ; la majorité des membres de l’humanité l’a tous les matins. Mais, jamais habitués par le goût du café, nous nous sommes déterminé à nous faire violence et à surmonter nos arrière-goûts pour comprendre cette coutume universelle dans un pays d’excellence. Aux portes de la ville, proche d’un parc ombragé où la foule s’affairait, nous prenons notre premier expresso. Nous en avons réitéré l’expérience trois fois par jours durant notre séjour en Italie, en donnant une préférence à celui qu’on nous a fait avec amour à Forli et dont j’aurais l’occasion de reparler. Cette journée assez riche nous laissait le temps d’étudier à nos missions dans les bibliothèques de Bologne, recherches parfois interrompues par de vieilles douairières Bolognaises fières de l’histoire de leur ville. À force d’user d’un amphigouri dérivé d’un bas latin artisanal, il devient possible de se faire comprendre en Italie. J’admirais particulièrement mon ami : « Malgré son ignorance de l’idiome national, il ne cessa de baragouiner avec assurance, ce qui faisait d’autant plus de plaisir que personne ne le comprenait. » On rencontre dans cette ville toute sorte de gens, dont beaucoup d’étudiants. Nous liâmes connaissance avec Carlotta dont l'originalité des binocles nous avaient intriguée, voire attirée. Stéphane l’invitait à venir participer à notre travail photographique. Le regard rempli d’intérêt, elle nous promit de venir. Les suites du matériel photographique donnèrent un avenir regrettable à cette affaire.

Après avoir bien étudié la ville, nous nous engageâmes sur la via Emilia. C'est une route parfaitement droite qu’employaient les légionnaires légataires pour aller de l’Adriatique à Milan. Elle traverse toutes les cités de la région éponyme. C’était en direction des thermes de Castel San Pietro que nous marchions, dans l’espoir de profiter des eaux de cette ville et de soigner le cuir mosaïque de mon ami. Si sa santé était en péril, je donnais sur la via Emilia les dernières preuves que la mienne était encore excellente, car par la suite, mes entrailles n’eurent de cesse de me tourmenter jusqu’en Hongrie. Les thermes ne se situaient qu’à quatre heures de marche, mais le sort fît que je ne les verrais peut-être jamais. C’est à mi-chemin entre Bologne et Castel San Pietro, dans la petite cité d’Ozzano dell’Emilia, que nous reçûmes une missive de notre ami parmesan. Il rentrait le lendemain dans ses pénates, et il nous pressait de venir l’y retrouver. Partis dans des discussions de bord de chemin sur cette nouvelle information, nos bons génies, qui pour l’instant ne nous avaient promis que l’air frais des rues et des forêts pour dormir, firent apparaître un drôle de passant qui bataillait gaiment avec son chien ; Francesco, c’est son nom, ramenait quelques litres de vin pour finir sa soirée. En voyant deux inconnus disputer le long de la route, il leur tendit sa bouteille avec son amitié. Heureux d’entendre le parler espagnol, la discussion s’éternise. Pris d’une véritable sympathie, le luron nous propose le gîte, nous présente sa mère Margarita, son chien de trente-cinq livres et son assiette de pâtes, qui, dit-on, est le pain quotidien des Italiens. Heureux d’accepter cet abri, nous nous efforçâmes de rendre honneur à ce brave jardinier en partageant notre repas et notre soirée dans ce foyer singulier. Nous partîmes le lendemain dans les larmes, et avec l’assurance de nous retrouver un jour en Andalousie, où il a prévu d’aller habiter.


T.II, p. 44

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire