Ustina & Litomicl mercredi 29. La sainte était tendre

Remi devait partir deux jours pour un stage. Il nous laissait donc aux bons soins de son amie Petra. Nous devions pour notre part aller à Litomicl à pieds le mercredi. Trente kilomètres et une petite montagne séparent Ustina de Litomicl. Arrivés dans cette belle ville historique, l’idée nous vint de préparer une soirée extraordinaire à notre hôtesse, « et ce dîner mi-sacré, mi-profane fut fixé pour le soir même. » Nous fîmes quelques préparatifs avant de retourner à Ustina.

Arrivés en même temps qu’elle, après quelques purifications corporelles, nous la tenons informée d'une éventuelle surprise. Rama se met aux fourneaux. Aux ordres de Petra dès qu’il est question d’ingrédients, il prépare un délicieux risotto selon les règles religieuse. Je profite du moment pour apprendre l’accompagnement de quelques cantiques à l’accordéon. Puis, dans un moment de discrétion, je m'enquiers de tous les accoutrements nécessaires pour nous travestir en messagers divins. Rama de son côté découvre de nombreux bijoux qui parfont notre allure indienne. Nous apparaissons devant la belle qui se laisse prendre au jeu. Je suis Krishna incarné et mon compagnon, le lecteur l’aura compris, Rama. Nous lui annonçons nos identités et la raison de notre venu : Nous venons mettre à l’épreuve tes pratiques et l’avancement de ton initiation à notre belle religion. Nous avons besoin pour cela de pratiquer un premier rite : la dépose des marques et la coloration de Krishna. Entendu, reprit-elle dans sa langue, je suis à votre service et c’est pour moi un grand honneur que de mettre en pratique mes humbles acquis ! Sa mine ravie et confiante nous réjouissait. Elle commença par s’habiller en conséquence d’un beau sari jaune et orange qu’elle n’avais mis que très rarement, et devant aucun homme. Elle se mit en quatre pour apposer les sept marques sur mon corps, une grande sur le front et sur l’épaule gauche, un point sur le nez, la gorge, le dos, les hanches, le tout avec de la terre du Gange, fleuve sacré. Je m’empresse de pratiquer ce doux rituel sur elle, puis elle s’occupe de Rama. Nous l’invitons ensuite à me recouvrir intégralement de peinture bleue. Malgré le risible de la situation et de mon aspect, tout le monde restait dans une attitude hiératique et respectueuse. Nous prîmes religieusement notre dîner en laissant toujours un plat pour la divinité suprême. Les mets étaient succulents, les conversations délicieuses, le jeu profond. Nous la mîmes à l’épreuve sur beaucoup de questions relatives à sa foi et à ses avancées théologiques. « Une singularité ridicule me comblait de joie : c’était l’idée de paraître célèbre en théologie dans un siècle où la raison et la philosophie avaient si justement décrié cette science. » Nous jouions les avocats du diable. Sa science était solide, mais nous en sentions encore des faiblesses. Loin d’en profiter pour lui saper ses saintes convictions, nous lui désignions les points de dogme qu’il fallait approfondir. Après plus de deux heures de douces polémiques, l’improvisation nous indiqua le moment de nous rendre au temple.

Nous allâmes sur le champ dans sa chambre ou elle avait installé sur un tapis une petite console qui lui faisait office d’autel. Les Mânes et les Pénates de Pétra étaient représentés par des photos de sages et quelques ouvrages sacrés. Nous nous installâmes sur le tapis pour commencer les médiations. Nul ne peut entrer ni sortir de ce tapis sans un sésame rituel. C’est le début d’un long épisode sacré. Peu à peu, les lectures et les formules rituelles laissent place aux chants. Nous nous levons. Rama prend une percussion, j’endosse l’accordéon et Petra d’entonner les cantiques. Le génie de la danse s’empare de nos corps. Quelle scène ! Vêtus en anges indiens, la peau parfaitement bleue pour ma part, priant indistinctement en sanskrit, en tchèque, en français et en anglais, l’accordéon au ventre, enthousiasmés par des farandoles sacrées… Rare ceux qui reverront un tel miracle. Après quelques accalmies, Petra apporte un saint dessert quelle accompagne de suaves libations. Les discussions casuistiques reprennent de plus belle. Après quelques heures, nous terminons le rituel. Je vais dans la baignoire quitter ma pigmentation. Je demande le soutien d'une main pour certaines parties inaccessibles, et j'ai ensuite pu retourner ce service avec autant de douceur que je l'avais reçu. Nous avions alors choisi de dormir tous ensemble. Il fallait encore convaincre notre nymphe, qui s’en laissa persuader, suite à une ruse à notre façon. La nuit fut douce car la sainte était tendre.


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