Budapest, le vendredi de l'accélération

Nous allions le lendemain à Raday utca, et nous en fûmes assez déçus. Non loin de là se trouve le grand marché couvert Vámház Körút où nous avions deux courses à faire. Nos discussions passionnées nous emmenèrent à travers toute la ville. Nous passâmes par la longue avenue Andràssy ut pour arriver au parc Varosliget où l’on trouve le château avec le fameux Anonymus. Nous passâmes quelques instants aux thermes pour soigner nos peaux. La nuit s’annonçait longue car nous ne voulions pas dormir. Nous avions calculé que pour être au concert de Rémi le lendemain soir, nous devions prendre le bus à six heures du matin à Budapest. 

Après avoir mangé sur l’île Margitsziget, nous souhaitions retrouver le camarade niçois, rencontré le premier soir de notre séjour hongrois.  Nous le trouvons dans une taverne du même genre que celle où Mark nous avait invité. Stéphane sirotait avec des amis. Après nous avoir avoué sa détresse pour parler hongrois après deux ans passés dans ce pays, il me tint des propos corruptifs très étranges. Il partit sans trop de retard avec sa compagnie. Nous rencontrons non loin de là un miséreux Hongrois. Sabbath « comte de Tött, frère du baron qui manqua sa fortune au sérail, et que j’avais rencontré à La Haye, fut mon introducteur. » Il avait rencontré à Budapest beaucoup de personnages de ce monde, tels que Steven Spielberg et en avait obtenu des autogrammes, comme il le disait gaiement. Quel miracle ! Nous eûmes avec ce brave homme une discussion en hongrois de près d’un quart d’heure, rue Nagymezo. Il était minuit passé, nous recommencions notre tournée de l’avant-veille, sans trouver l’ambiance aussi engageante. Passant devant l’auberge Klauzal ter, nous reconnaissons une serveuse avenante que nous avions rencontré. Nous allons prendre un verre de unicum, liqueur hongroise onctueuse. La serveuse parlait un peu italien, sa consœur Judith était tout aussi joyeuse, et le serveur nous enseignait quelques mots de hongrois. C’était l’heure de la fin du service, tous étaient emplis de bonne humeur : le personnel dansait et liguait avec les habitués… Nous continuons notre chemin en leur promettant de les retrouver plus tard. Nous retournâmes au troquet de la veille où nous savions que nous reverrions les quatre américains qui dormaient avec nous. Cette société se composait de deux précieuses amies canadiennes qui s’aimaient sans réserve et dévoilaient leurs jolis charmes, une new-yorkaise expansive et un californien un peu niais. Nous discutons avec eux et avec la belle serveuse, dont, je vous ai déjà parlé je crois. À la fermeture, nous nous retrouvons tous, avec le personnel du bar de la Klauzal ter au jazz club, Dob utca. « Je passai devant une guinguette, et voyant du monde entrer et sortir, je fus curieux de voir ce qu’était ces sortes d’endroits. Grand Dieu ! c’était une orgie ténébreuse dans une espèce de cave, véritable cloaque du vice et de la plus dégoûtante débauche. Le son rauque et discordant de deux ou trois instruments qui formaient l’orchestre portaient à l’âme une sorte de tristesse répugnante qui contribuait à rendre cet antre terrible. Ajoutez à cela une fumée épaisse d’un mauvais tabac et l’odeur suffocante d’ail et de bière qui sortait de toutes les bouches ; un ramassis de matelots et d’hommes de la plus basse classe, une foule de femmes perdues de débauche, et vous aurez l’esquisse du tableau le plus avilissant qui puisse blesser les regards d’un mortel. » Emportés dans cette folie, Judith est ma cavalière. Dans la danse, nous échangeons mille fougueuses tendresses. Au milieu de ces mouvements voluptueux, elle m’interrogeait sur mes projets. Hélas, je m’en vais bientôt. « En prononçant ces mots, je collai ma bouche sur la sienne et je sentis un baiser s’échapper comme involontairement de ses lèvres. Ce baiser pénétra dans toutes mes veines ; je me sentis égaré et je vis que, si je ne voulais pas courir le risque de perdre toute sa confiance, je devais me hâter de fuir. » Nous fûmes contraints de brusquer notre départ, car un véhicule nous attendait, et nous ne pouvions faire autrement que de filer. Une course effrénée commençait alors.

Nous quittons ce saint-frusquin, arrivons au gîte, endossons nos effets. Mon ami embrasse la gardienne. Nous courrons. Nous sautons dans le premier métro. Nous négocions nos places pour le bus de Vienne. Le bus était plein... Nous attendons, espérons, rechignons, conspirons... Au dernier moment, un désistement de deux personnes nous sauve, ouf !


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